Les vertus de la colère
- Olivier Babando

- 2 mai
- 5 min de lecture

Une dimanche matin “presque” comme les autres
Je me rappelle d’un dimanche matin, il y a quelques années. Auréa avait invité un copain à passer le week-end à la maison. Je profitais qu’ils jouaient tranquillement dans le salon pour aller prendre une douche.
Quand je ressors, plus personne. Le salon est vide. Pas de bruit, ni ici, ni ailleurs dans la maison. Pas dans le jardin non plus. Je les appelle. Pas de réponse. Juste ce silence et une tension qui monte en moi. Mon cœur s’accélère et les scénarios s’écrivent à une vitesse folle dans ma tête, les uns après les autres, des plus absurdes aux plus terrifiants.
Je ferme tous les volets pour partir à la gendarmerie et, en sortant de la maison, je les vois au loin sur le trottoir. Auréa est sur son vélo, son copain sur sa trottinette. Ils reviennent tranquillement. J’aurais pu être soulagé de les savoir en sécurité. Et pourtant non. C’est la colère qui s’invite. Elle monte très vite et prend toute la place. Elle m’envahit même.
Mais voilà, ils sont encore loin. Et ce petit délai avant qu’ils n’arrivent à ma hauteur fait toute la différence. Je respire et je m’écoute. Je prends alors conscience qu’avant cette colère, il y avait surtout de la peur, de la panique même. Et que cette peur me parlait de besoin de confiance, de sécurité, de préservation et de prendre soin.
Alors, quand ils arrivent à ma hauteur, je leur parle. Pas pour faire mal. Pas pour punir. Mais pour dire, avec toute l’énergie de vie qui m’anime, la peur que je viens de vivre. Et je vois deux enfants qui ne sont pas effrayés par ma colère, mais qui prennent la mesure de ce que leur comportement m’a fait vivre.
Je raconte souvent cette histoire dans mes stages parce qu’elle illustre parfaitement cette idée que j’aime transmettre en CNV
La colère n’est pas un problème. Elle est une boussole. Un éclairage puissant sur nos besoins profonds.
Encore faut-il savoir la canaliser.
La colère en CNV : une énergie de vie
En CNV, la colère est considérée comme l’un des quatre signaux sonnette d’alarme avec la culpabilité, la honte et la dépression. Elle nous indique que quelque chose d’important est en jeu. Mais parmi ces quatre, seule la colère contient encore assez d’énergie pour passer à l’action.
La colère est donc précieuse. Elle dit : « Ce que je vis là, ce n’est pas OK pour moi. » Et plus elle est intense, plus les besoins en jeu sont importants.
Malheureusement, dans notre société, cette énergie est souvent mal vue, mal comprise. Parce qu’on la confond avec la violence et, pour cette raison notamment, on nous a appris à la taire, à la cacher, à la juger.
La racine de la colère
La colère n’est pas causée directement par ce que fait l’autre. L'autre n’est que le stimulus qui, certes, déclenche la machine et met le feu aux poudres.
Mais la véritable cause, c’est ce que je me raconte à propos de ce stimulus : mes jugements, mes croyances, mes exigences, mes attentes.
Le fameux « Je ne veux pas que les choses soient comme elles sont ».
Et au cœur de tout ce processus, il y a la racine : mes besoins non satisfaits.
Comprendre cela change tout. Ça nous invite à déplacer notre attention. À passer du « c’est à cause de lui/elle » à « qu’est-ce que je vis intérieurement ? ».
C’est ce mouvement intérieur qui m'a permis, dans l’histoire d’Auréa et de son copain, de ne pas crier et de ne pas blesser. Mais, au contraire, de partager en me reliant à ce qui est vivant en moi pour m’exprimer et créer un espace de connexion.
Cri girafe ou cri chacal ?
En CNV, on distingue deux façons d’exprimer sa colère.
Il y a le cri chacal. Celui qui veut punir, faire mal, faire payer. Celui qui, consciemment ou pas, prend plaisir à blesser, même un peu. Parce qu’on se sent blessé soi-même. Parce qu’on veut que l’autre sache, qu’il ressente, qu’il regrette.
Et puis, il y a le cri girafe. Celui qui vient du cœur. Qui dit avec force et intensité ce qui est important. Qui crie pour la vie et pas contre l’autre.
Transformer sa colère en cri girafe, c’est choisir de rester en lien avec le vivant.
Choisir de ne pas laisser cette énergie devenir destructrice, mais au contraire de s’en servir pour clarifier, pour poser des limites, pour prendre soin.
Ce que la CNV propose
La CNV nous invite à ne pas parler à l’autre à partir de nos exigences.
Mais elle ne nous invite pas pour autant à nier notre colère. Au contraire, elle nous propose de :
Laisser sortir nos pensées chacal … mais à l’abri de celui que l’on considère être notre stimulus.
Faire un dialogue intérieur pour accueillir ce qui se passe en nous en identifiant nos sentiments et nos besoins.
Clarifier notre intention avant de parler.
Et seulement ensuite, nous exprimer si on en a encore l’envie.
Et si c’est l’autre qui est en colère ? Et bien la CNV nous propose de l’écouter (sans se forcer, seulement si on a la disponibilité intérieure). D’accueillir sa colère, de reformuler et surtout, de chercher ses besoins cachés sous les jugements.
Colère ≠ violence
La colère n’est pas la violence. Elle n’est pas dangereuse en soi. Ce qui peut devenir violent, c’est ce qu’on en fait. La violence, c’est une prise de pouvoir, une domination, une volonté de faire mal. La colère, elle dit juste : « J’ai besoin que quelque chose change. »
La colère peut être belle, vivante et authentique, tant qu’on apprend à l'accueillir, à la comprendre et à ne pas la laisser parler à notre place.
Une histoire que je garde précieusement avec moi
Je repense souvent à cette scène, sur le trottoir. À ces secondes suspendues et au choix que j’ai fait de transformer ma colère avant de parler.
Je m’y accroche quand une autre colère monte. Je me rappelle qu’il y a souvent autre chose, juste en dessous. De la peur ou de la tristesse mais surtout des besoins insatisfaits.
Et je me dis que cette colère-là, si je la laisse passer par le bon chemin, elle peut faire de belles choses. Elle peut construire au lieu de détruire.
Alors, à tous ceux qui pensent qu’en CNV on ne devrait plus se mettre en colère, j’aime leur raconter cette histoire pour les inviter à aimer et accueillir leur colère.

Olivier Babando
Formateur en Communication NonViolente certifié par le CNVC (Center for NonViolent Communication)
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